Histoires de conception

Voyages vers la Couleur

17 June 2021
A Color Journey

Introduction

Chez Arper, la couleur est bien plus qu’une simple question d’options de finitions ou le résultant d’un choix de design particulier. La Couleur – accompagnée des notions d’intuition, d’équilibre, de lumière, de jeu et de famille – a évolué jusqu’à devenir aujourd’hui une de nos valeurs fondamentales. Depuis des années, nous collaborons avec des designers et des spécialistes qui ont su apporter et partager avec nous leur sensibilité par rapport à la notion de couleur. Nous nous référons ici aux idées, aux créations et aux designers qui ont aidé Arper à façonner cette manière si différente de considérer et de jouer de la couleur, et du concept associé à cette « manière de faire ».

La Couleur en contexte

 

La couleur n’est pas un point fixe, statique. Elle n’agit pas toute seule dans son coin. En réalité, la couleur est tout autant une réflexion de notre perception – culturelle, historique et matérielle – qu’elle est une nuance unique.

 

La Couleur se révèle un miroir de nos spécificités culturelles en constante évolution. Le Modernisme était presque effrayé par la couleur, considérant que c’étaient les cubes blancs, les vêtements noirs et les palettes neutres qui suggéraient la sophistication. En opposition, les couleurs intenses ont historiquement souvent été perçues (et le sont d’ailleurs peut-être encore à la date d’aujourd’hui) comme décoratives, triviales. Mais les goûts changent et évoluent : une même couleur peut être considérée rafraîchissante et captivante à un ‘moment T’ puis terne et morne à un autre moment distinct dans le temps. Ou encore, une certaine couleur va être considérée comme apaisante dans un certain contexte et déprimante dans un autre, et ce en fonction de perspectives culturelles différentes. La couleur en elle-même ne change pas, c’est nous qui changeons.

 

Outre la manière dont le temps et la culture impactent notre perception émotionnelle de la couleur, la couleur interagit également avec la propre personnalité de l’objet – son matériau, sa forme, sa taille, sa composition – et les conditions changeantes de son environnement. La brillance de la soie, la profondeur du velours, l’éclat de l’émail ou le poudré des pigments - la couleur reste toujours la même, seul son ressenti varie.

 

Mais surtout, la couleur « n’est pas » : elle n’existe pas en soi, seule et indépendante des matériaux, des autres couleurs qui l’entourent et de ses spécificités culturelles et historiques. Car tout comme un morceau de musique, c’est le mélange des nuances qui crée une atmosphère. La couleur se révèle constamment à elle-même.

 

« En tant que designers, nous cherchons à donner corps à quelque chose qui est déjà dans l’air – un souhait, un ton, une humeur, un désir collectif – mais qui n’a pas encore trouvé son expression. Nous identifions ces tendances et nous leur donnons corps grâce aux couleurs, aux matériaux, à une structure et une composition. En créant, nous sommes en dialogue permanent avec notre communauté : la manière dont nous exprimons nos valeurs et nos idées, et la manière dont nous réagissons au monde qui nous entoure modèle notre environnement, et nous sommes à notre tour modelés, façonnés par ce même environnement. En ce sens, nous faisons tous partie de ce grand collectif, pensant et ressentant ensemble» — Jeannette Altherr

La Couleur comme concept de Design

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2000 when Catifa was launched

C’est le design de la chaise Catifa en 2000 qui emmène la philosophie de la couleur selon Arper vers une nouvelle dimension. Conçue par le studio Lievore Altherr Molina, la chaise Catifa – devenue depuis iconique – introduisit la couleur non pas comme un élément de finition mais comme l’élément clef de son concept. Le design bicolore de Catifa conçu grâce à une technologie de bi-injection permettait en effet que deux couleurs soient juxtaposées et injectées ensemble sur une même structure.

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2000 when Catifa was launched

« La production bicolore crée une identité visuelle unique entre les chaises et les tables » explique Jeannette Altherr de Lievore Altherr Molina. « Installées autour d’une simple table, les chaises blanches créent un environnement uniforme propice à la conversation et à l’échange. La couleur de la coque ou des contours externes renforce la collaboration et la communication interne. »

photo: Gerhardt Kellermann | Catifa Illustration: Katrin Coetzerphoto: Gerhardt Kellermann | Catifa Illustration: Katrin Coetzer
photo: Gerhardt Kellermann | Catifa Illustration: Katrin Coetzer

Les couleurs de la première collection Catifa ont été pensées pour être un élément actif d’architecture d’intérieur. Les designers ont ainsi joué avec les textures de la chaise : un extérieur brillant associé à un intérieur mat texturisé permettant qu’une coque même totalement blanche reste connectée au reste de la collection grâce à de légères variations de tonalités en fonction du type de surface.

Swiss Museum of Transport, © Marco CoviSwiss Museum of Transport, © Marco Covi
Swiss Museum of Transport, © Marco Covi

« Dans les compositions linéaires, les chaises bicolores créent un double effet : vues de devant, ces rangées de chaises transmettent une certaine sérénité, un peu comme si on allait s’asseoir sur des draps fraîchement lavés. Mais vus de derrière, les dos foncés des chaises créent une sensation étonnante, une surface multidimensionnelle qui accroche autant le regard que l’imagination » — Jeannette Altherr

2016 Catifa New Edition: From Inspiration to color concept photos © Dominik Tarabanski moodboards | photo © Salva Lopez / Lievore Altherr Molina2016 Catifa New Edition: From Inspiration to color concept photos © Dominik Tarabanski moodboards | photo © Salva Lopez / Lievore Altherr Molina
2016 Catifa New Edition: From Inspiration to color concept photos © Dominik Tarabanski moodboards | photo © Salva Lopez / Lievore Altherr Molina

Avec l’arrivée de nouvelles collections dans la famille Catifa, nous avons pu vérifier combien la couleur définissait la personnalité d’un produit, son identité. En 2016, Arper a célébré la durabilité de la famille Catifa en emmenant le processus de customisation bicolore au niveau supérieur de contraste et de nuances. La designer Jeannette Altherr a choisi une palette de couleurs et des textures de matériaux différents pour chaque nouvelle collection afin de différencier et mettre en avant les propriétés uniques de chacune d’elles – la différence d’échelle et de proportions à l’intérieur de chaque collection s’est traduite par un mouvement différent pour chaque version. 

2016 Catifa New Edition: Unity within diversity fotos @ Scheltens Abbenes2016 Catifa New Edition: Unity within diversity fotos @ Scheltens Abbenes
2016 Catifa New Edition: Unity within diversity fotos @ Scheltens Abbenes

Catifa 46 a été lancée dans une gamme de tons rafraîchissants et ludiques alors que Catifa 53 s’est enrichie de finitions chaleureuses et d’une version cuir pour une ligne résolument élégante et raffinée et un style confortable.

© Mikkel Rahr Mortensen, Gitte Kjær© Mikkel Rahr Mortensen, Gitte Kjær
© Mikkel Rahr Mortensen, Gitte Kjær

La Couleur et l’Espace

2016 Paravan Collection Color Studies2016 Paravan Collection Color Studies
2016 Paravan Collection Color Studies

Quand on pense à la couleur en architecture, on pense souvent au fait d’être enveloppé par ses tonalités, de la même manière que la Nature peut s’enrouler autour de nous : les bleus profonds de la mer des îles Grecques, les millions de nuances oranges, rouges et jaune des forêts d’automne ou encore les tons vermeils terreux de la ville de Sienne. La couleur à cette échelle a la capacité d’être pleinement immersive et d’impacter profondément nos sensations et ressentis.

 

En concevant les collections modulaires de Arper – qui créent et définissent l’espace tels que les panneaux Paravan conçus par Lievore Altherr Molina en 2018 – la couleur est alors traitée dans une perspective d’immersion avant tout avec l’architecture plus qu’avec les meubles.

2016 Paravan Collection Launch2016 Paravan Collection Launch
2016 Paravan Collection Launch

« La couleur est une nuance, une surface qui entretient un lien spécial avec la forme – mais la couleur est aussi une dimension qui entretient une relation spéciale avec la lumière et les espaces construits précise Jeannette Altherr. “Cela peut paraître simple de choisir une couleur, mais c’est beaucoup plus difficile de la marier avec les meubles et les éléments qui font l’architecture d’un espace. Une couleur qui fonctionne à une petite échelle comme sur une chaise par exemple peut paraître exagérée et ne pas fonctionner si elle est appliquée sur un mur ».

 

Alors que pour Paravan la couleur est enveloppante, elle peut aussi fonctionner comme un élément organisationnel, comme une frontière qui viendrait définir l’architecture d’un espace. Avec les configurations de Kiik conçu par Iwasaki Design Studio et le sofa modulaire Loop conçu par Lievore Altherr Molina, la couleur s’entend non pas comme un champs mais plutôt comme une ligne d’horizon – un point de navigation qui renforce et assied la structure.

© Marco Covi© Marco Covi
© Marco Covi

Ces applications de couleur à l’échelle ont le pouvoir d’impacter fortement nos environnements, et en conséquence, d’impacter la manière dont nous nous y sentons. Des espaces calmes, humains qui viennent renforcer intuitivement nos besoins grâce à des matériaux et des formes qui invitent au bien-être et à l’éveil des sens. Des environnements qui nous rassemblent et qui nous mettent à l’aise. Or pour y parvenir, la couleur joue un rôle crucial.

 

« L’architecture est une grande source d’inspiration. Il y a quelques années, nous avons eu la chance de visiter les maisons de Luis Barragán construites à Mexico City. Nous avons été impressionnés par la force émotionnelle de la couleur utilisée sur les murs – des tonalités particulièrement inhabituelles comme le rose, le jaune, le rouge ou le bleu. Assez étonnamment, le ressenti de ces tons n’est absolument pas artificiel mais au contraire très naturel, grâce à la texture des murs en eux-mêmes. Le tissu – comme matériau principal de petites architectures telles que celle de Paravan – peut offrir cette même sensation matérielle : structurée, riche, chaleureuse » — Jeannette Altherr

La Couleur et l’Emotion

From an Interview on color with Dominik TarabanskiFrom an Interview on color with Dominik Tarabanski
From an Interview on color with Dominik Tarabanski

La Couleur est une émotion rendue visible. Non seulement elle crée la personnalité d’un objet, mais elle porte elle-même sa propre émotion. Quand nous pensons au rose ou au bleu, certaines connotations – et certaines émotions – nous viennent naturellement à l’esprit. Nous comprenons ces liens entre couleurs et émotions si profondément que parfois, on prend la couleur pour une émotion - si on pense par exemple à la mélancolique « Période Bleue » de Picasso ou si l’on regarde la vie à travers les verres de lunette teintés en ‘rose-optimiste’. On fait aisément le lien entre couleur et émotion à travers le langage car la couleur nous fait facilement ressentir les choses.   

 

Arper a toujours entretenu la connexion entre couleur et émotion comme une valeur centrale et essentielle de son processus de design, créant des palettes pour chaque nouvelle collection afin de renforcer la manière dont couleurs et formes créent un dialogue avec la forme et les matériaux, tout en considérant également combien cette relation avec la couleur nous fait ressentir les choses, les couleurs s’adaptant à tous types de contextes de design. En conséquence de notre engagement envers la couleur comme valeur essentielle, nous avons commencé à étudier et faire des recherches autour du concept de la couleur avec des collaborateurs provenant de différents secteurs.

 

Récemment, nous avons interviewé le photographe Dominik Tarabanski sur son travail grandissant qui explore justement la connexion émotionnelle à la couleur. "Au final, ce qui compte c’est l’action que la couleur exerce sur nous, ce qu’elle fait » dit-il. « Si l’on regarde une toile, un objet ou une chaise, quelles impressions nous procure cette couleur ? Est-ce-que cela fonctionne ou non ? Est-ce-qu’elle nous fait ressentir quelque chose de particulier, est-ce que cela donne forme à une expression, à une impression de ce que nous voyons effectivement ? Mon intention n’est pas de redécouvrir la couleur mais d’inviter les gens à la considérer avec plus d’attention ».

From an Interview with Ingrid Fetell Lee on the aesthetics of JoyFrom an Interview with Ingrid Fetell Lee on the aesthetics of Joy
From an Interview with Ingrid Fetell Lee on the aesthetics of Joy

L’écrivain et designer Ingrid Fetell a un objectif similaire dans son approche de travail lorsqu’elle demande à son public de se connecter avec leur impact sur l’environnement. Lee, ancien Directeur de Design de IDEO, focalise son travail sur les différentes manières dont l’esthétique influence nos émotions. « La teneur émotionnelle influence beaucoup des choses que nous faisons » explique-t-elle. « Si ces esthétiques nous apportent réellement de la joie, alors nous devenons de fait plus affectueux, plus ouverts, plus collaboratifs, créatifs et volontaires. Donc, comment faire pour utiliser notre environnement afin de nous aider à tirer meilleur parti de nous-mêmes ? »

From an Interview with Ingrid Fetell Lee on the aesthetics of JoyFrom an Interview with Ingrid Fetell Lee on the aesthetics of Joy
From an Interview with Ingrid Fetell Lee on the aesthetics of Joy

Tarabanski et Lee, comme de nombreux autres collaborateurs, ont approfondi ces recherches et investigations sur la connexion entre couleur et émotions – de quelle manière notre environnement impacte nos ressentis et comment le design peut-il jouer un rôle important dans cette conversation.

 

« Je regarde les choses qui ont tendance à être considérées comme joyeuses : une couleur vive, des contours arrondis (des hula hoops, des tourniquets, des fleurs). Vous pouvez regarder une scène ou un objet et vous pouvez le disséquer : pourquoi cela me fait-il ressentir ce que je ressens ? Quel lien de joie inhérent est-il activé dans mon cerveau ? de manière générale, l’esthétique de la joie a tendance à fonctionner que l’on en soit conscient ou non. Certaines personnes peuvent répéter tout au long de la journée qu’elles aiment avoir chez eux des meubles angulaires, voire pointus, et c’est peut-être le cas. Mais juste parce qu’ils apprécient ce genre de meubles et pensent que c’est beau ne veut pas dire pour autant que dans leurs cerveaux il n’y ait pas un petit ‘clic’ qui se fasse et qui vienne les titiller. Ma recommandation est qu’en ajoutant quelques une de ces esthétiques profondes et universelles à votre vie, vous pouvez reconstituer, renflouer ce qui peut parfois venir à manquer dans votre environnement construit » — Ingrid Fetell Lee

La Couleur et le Bien-Être

La couleur peut impacter non seulement notre humeur mais également notre sentiment de bien-être. Dans les années 2014, les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle ont commencé à se troubler. Une révolution digitale était en train d’impacter chaque secteur de notre vie, et plus particulièrement nos manières et lieux de travail.

2014 Kinesit Collection Launch2014 Kinesit Collection Launch
2014 Kinesit Collection Launch

Le bureau est devenu non plus un bâtiment ou un lieu statique vers lequel on se déplace mais ce sont les outils que l’on transporte qui comptent. Le bureau s’est alors transformé en un lieu où l’on vient poser nos ordinateurs ou nos smartphones : que ce soit à la maison, à l’aéroport, au restaurant ou à la plage. Et les bureaux physiques ont changé eux aussi : plus colorés, moins fonctionnels, plus intuitifs et empathiques.

Kinesit Kinesit

Pour Arper, ce changement empathique correspond au début de ce que l’on appelle la «soft tech»: l’innovation et la technologie au service du corps et de l’esprit, et non plus la technologie uniquement pour ce qu’elle est en soi. Nous commençons alors à reconnaître que la qualité des espaces que nous occupons a un impact sur tout – de la santé jusqu’à la productivité en passant par la créativité et le sens de la collaboration. Et que la qualité des espaces qui nous entourent sont définis non pas par le matériel et l’architecture mais par la couleur.

© Constantin Meyer© Constantin Meyer
© Constantin Meyer

Cette approche plus douce a été la base de l’inspiration pour Kinesit. Crée et pensée pour les nouveaux types de bureaux et notre manière d’y travailler, Kinesit présente des couleurs basiques fortes qui sont utilisées de manière réfléchie : une palette de couleurs que nous avons utilisée également pour nos stands à Orgatec en 2014 et Milano Work en 2017. Cette palette explore et fait dialoguer des nuances de couleurs primaires installées dans des environnements clairs et lumineux pour favoriser une humeur joyeuse et sophistiquée. Pensée pour un environnement qui était jusque-là traditionnellement dominé par le gris et le noir, Kinesit offre une palette alternative douce, sensuelle et rafraîchissante qui est basée sur l’idée du bien-être du corps et de l’esprit.

Kinesit in different offices, © Marco Covi | Gerhardt Kellermann | Salva LopezKinesit in different offices, © Marco Covi | Gerhardt Kellermann | Salva Lopez
Kinesit in different offices, © Marco Covi | Gerhardt Kellermann | Salva Lopez

L’interaction entre corps et esprit a également été la base de réflexion pour Cila en 2017. Un geste simple, une sensation de souplesse. La forme fluide de Cila rappelle les couches d’un tissu enveloppant un corps. La silhouette aux lignes douces et aux courbes reconnaissables exprime un caractère graphique, symbole même du refuge. Comme une protection, une étreinte.

Cila was launched in 2017 @ Salva LopezCila was launched in 2017 @ Salva Lopez
Cila was launched in 2017 @ Salva Lopez

Les couleurs de la coque plastique de Cila sont inspirées des tonalités de la peau et de l’argile – des tons fluides, organiques, chaleureux, terriens – et ont été utilisées également plus tard pour expliciter l’idée de l’Intuition pour le design du stand d’Arper en 2018. La palette de couleurs Cila a été complétée par des matériaux qui conservent leurs qualités tactiles : le cuir naturel, la laine douce, le plastique, des finitions fonte et un ton noir mat profond pour la base et le plastique noir.

Color Inspiration moodboards © Lievore AltherrColor Inspiration moodboards © Lievore Altherr
Color Inspiration moodboards © Lievore Altherr

Pour Cila, la couleur et la forme sont traduites par la prise en compte du bien-être – qui s’exprime ici par le mouvement doux et enveloppant d’un tissu de feutre épais, inspiré des sculptures de feutre de Josef Beuys.

Cila and Cila Go in locations ©Iris Humm, Salva Lopez, Altherr Désile ParkCila and Cila Go in locations ©Iris Humm, Salva Lopez, Altherr Désile Park
Cila and Cila Go in locations ©Iris Humm, Salva Lopez, Altherr Désile Park

« On nous a toujours dit – en nous l’enseignant ou en nous en convainquant – que notre relation à notre environnement va de notre intériorité vers l’extérieur va de notre intériorité vers l’extérieur. Que nous sommes supposés nous exprimer, marquer notre milieu environnant. Il n’existe absolument aucune discussion sur le fait que celui puisse exister dans l’autre sens, ce qui à mon sens, serait réellement la perspective intéressante. Notre milieu environnant est celui qui influence notre bien-être à travers nos sens »
— Ingrid Fetell Lee

La Couleur et le Matériau

Le matériau est étroitement lié à la couleur - et dans certains cas, elle est le matériau. La couleur est modelée par la qualité du matériau – mate, soyeux, brillant, rugueux, la couleur naturelle du matériau de base et la manière dont il évolue dans le temps. Les nuances subtiles sont une source inépuisable d’inspiration.

Arper a commencé à explorer les changements de couleurs de la matérialité en 2012 avec SAYA, la première chaise en bois conçue par Lievore Altherr Molina, puis plus tard avec AAVA conçue par Antti Kotilainen en 2013. SAYA a été pensée comme une alternative aux plastiques synthétiques immuables à la longue durée de vie. Les designers ont voulu souligner les qualités vivantes d’un matériau naturel tel que le bois – avec le temps, sa palette devient une expression de la vie, de l’âge avec sa patine acquise grâce au temps qui passe.

© Marco Covi© Marco Covi
© Marco Covi

« L’inspiration [pour Saya] est venue suite à une visite au Japon où je suis allée rencontrer un fabricant de boîtes de thé fabriquées en métal, cuivre et laiton » explique Jeannette Altherr de Lievore Altherr Molina. “Les feuilles de métal des boîtes ne sont pas scellées, donc le toucher et l’utilisation au long cours apporte une oxydation unique proche d’une patine. Le bois a une qualité vivante tout à fait similaire. Il symbolise le temps ».

© Marco Covi, Salva Lopez© Marco Covi, Salva Lopez
© Marco Covi, Salva Lopez

Avec Saya, les designers ont choisi une palette de vernis naturels avec une finition à pores ouverts. La couleur et la matérialité ont fusionné : « nous avons choisi des couleurs dans un dégradé que l’on retrouve naturellement dans le bois, en partant d’un marron très pâle, un ton décoloré, un ton toasté jusqu’au marron foncé, presque noir, aux tonalités proches de celles du charbon » précise Altherr. « Nous avons également inclus trois différents tons de rouge – une couleur qui parle de la vie, comme le bois et qui est d’ailleurs souvent utilisée sur le bois au Japon. Nous avons imaginé qu’une seule couleur pouvait interpréter une pièce unique, et que plusieurs couleurs ensemble pouvaient créer un motif rythmique.

© Salva Lopez | Illustration: Pol Montserrat© Salva Lopez | Illustration: Pol Montserrat
© Salva Lopez | Illustration: Pol Montserrat

Là où les pièces de bois de Arper permettent à la matérialité de créer une couleur naturelle au cours du passage du temps, les choix de palettes pour les collections inspirées de l’architecture telles que Arcos et Stacy renforcent elles les qualités du matériau à travers ses choix de couleurs. Avec Arcos, Lievore Altherr a combiné une forme classique avec des finitions modernes inspirées par la présence de matériaux forts : le velours en tonalités riches telles que marbre noir, le vert profond, l’encre, la rouille, et l’ocre. La designer Jeannette Altherr précise :

“Une attention particulière a été portée aux couleurs. Inspirée par la maison de Corbero près de Barcelone, nous avons imaginé les pièces dans une finition monochrome comme une ombre. Nous imaginions des couleurs élégantes, sombres, proches du velours aussi bien pour les tissus que pour le laquage du métal pour suggérer l’idée que la pièce est faite en un seul et même matériau. La riche palette de couleurs forme un contraste graphique et expressif contre les murs blancs, évoquant également sa source d’inspiration : la maison de Corbero et sa puissante vision archétypale de la géométrie.”  

© Salva Lopez© Salva Lopez
© Salva Lopez

Calme et sophistiquée, la chaise empilable Stacy a été conçue dans des couleurs qui évoquent les matériaux nobles de l’architecture : la brique, la rouille, la fonte, le métal noir, le grès ou encore le plâtre. Ces choix de couleurs ont forgé cette relation si particulière entre la couleur et le matériau.

« Les chaises empilables doivent être très légères car elles sont beaucoup déplacées. L’option la plus légère est le plastique. Nous avons pu vérifier que la plupart des chaises empilables sont disponibles dans des couleurs vives et dynamiques : sans doute parce que les espaces communautaires où elles sont habituellement utilisées sont fait dans des matériaux basiques qui sont faciles à entretenir comme la brique, le plâtre blanc ou le bois contreplaqué. Souvent, ces espaces ne sont pas très beaux et les couleurs des chaises plastiques sont une solution pour égayer ces espaces. Mais les options de couleurs pour des chaises plastiques légères pensées pour des espaces qualitatifs sont réduites :  nous avons donc développé ces couleurs afin de créer une vraie présence » — Lievore Altherr 

© Zinc | Thomas Mellbye / Scheltens & Abbenes© Zinc | Thomas Mellbye / Scheltens & Abbenes
© Zinc | Thomas Mellbye / Scheltens & Abbenes
© Marco Covi | Iris Humm© Marco Covi | Iris Humm
© Marco Covi | Iris Humm

La Couleur et la Nature

Alors que les collections Arcos et Stacy utilisent la couleur pour renforcer les choix de matériaux, Arper a commencé à s’intéresser en parallèle dans la matérialité de la couleur en elle-même à travers le travail d’une collaboratrice : Jennifer Brooke. Brooke est une chercheuse et designer qui étudie les pigments trouvés dans la terre. Dans sa pratique, elle travaille la terre pour trouver des tonalités sous ses pieds. Elle raffine ces pigments naturels en en faisant des aquarelles, des craies et des matériaux artistiques afin de mieux appréhender la matérialité de la couleur et sa relation à l’espace.

 

« Quand j’ai commencé à travailler avec les pigments comme matériau artistique, j’en ai fait des aquarelles, mais également des craies et des crayons, et j’ai réalisé combien chaque pigment réagissait différemment : certains sont souples et veloutés, une merveille à travailler ; d’autres à l’inverse prennent du temps à s’ouvrir » précise Brooke. “Ces pigments ont des corps et des personnalités uniques. En repensant au postulat de Arper sur le fait que la couleur apporte la personnalité, je dirai qu’en réalité, la couleur est la personnalité ».

© Jennifer Brooke© Jennifer Brooke
© Jennifer Brooke

Le travail de Brooke souligne ainsi la relation unique entre la couleur et son comportement en tant que matériau, mais il permet également de soulever des questions sur la manière dont designers et producteurs pourraient envisager l’utilisation de couleurs naturelles comme éléments-clefs de participation aux efforts de durabilité écologique dans le monde du design.  « La plupart des gens, lorsqu’ils parlent de couleur de la terre, imaginent des tons terreux, or les tons terreux ont une connotation très spécifique associée aux tonalités marrons » explique Brooke. « Mais, je sais pour en avoir dans mon studio, que les tons terreux possèdent une large gamme de tonalités allant du rose au jaune en passant par le bleu et le vert. On vit sur une boule de terre en rotation pleine de couleurs érotiques et détonantes. »

© Jennifer Brooke© Jennifer Brooke
© Jennifer Brooke

Et pendant que Brooke s’applique à révéler la couleur des paysages, Arper a commencé à s’intéresser en parallèle à la couleur et à la Nature d’une manière différente : se connecter à la Terre à travers le prisme de la couleur et du design. Avec Adell, conçue par Lievore + Altherr Désile Park en 2020, la sélection de couleurs reflète l’engagement de respecter le monde naturel à travers l’imbrication de la couleur et du matériau.

© Altherr Désile Park© Altherr Désile Park
© Altherr Désile Park

« Nous ne pouvions pas envisager le mélange de ces formes organiques et de cette tactilité naturelle à des couleurs artificielles comme le blanc optique ou des couleurs techniques vives. » explique Jeannette Altherr. « Nous avons développé une gamme de tonalités douces inspirée de matériaux naturels tels que le bois et les feuilles. Même les tons les plus basiques comme le blanc et le noir ne sont pas des couleurs purement graphiques mais plutôt une version délicate : un noir graphite et un blanc ivoire.  »

© Altherr Désile Park© Altherr Désile Park
© Altherr Désile Park

Si on s’inspire de la Nature pour ses couleurs, on s’inspire d’elle également pour nos méthodes de production afin de protéger le monde naturel. Adell est fabriquée à partir de plastiques recyclés de post-consommation. Sa matérialité, avec ses fines lignes qui font penser à un galet et sa finition imitant les motifs circulaires des anneaux d’un tronc d’arbre, vient suggérer des qualités tactiles associées au monde naturel et évoque la beauté, l’aisance de la Nature. En tant que producteurs et individus qui appartenons à une communauté, le design reflète ce besoin d’une relation plus apaisée avec la planète Terre.

© Frederik Vercruysse | Salva Lopez© Frederik Vercruysse | Salva Lopez
© Frederik Vercruysse | Salva Lopez

Comme toujours, la couleur est autant une analyse des matériaux que l’on utilise que celle du temps dans lequel nous vivons. Avec Adell et les nouvelles collections lancées en 2021, Arper explore les différentes manières par lesquelles la couleur peut être utilisée pas seulement comme un élément de design mais bien comme un effort de durabilité écologique annonçant le futur de la couleur.

© Frederik Vercruysse | Salva Lopez© Frederik Vercruysse | Salva Lopez
© Frederik Vercruysse | Salva Lopez

La Couleur et Arper

Pour Arper, les produits fabriqués ont autant d’importance que la manière dont ils sont fabriqués. Ce n’est pas seulement une question d’esthétique - l’objet doit être considéré dans sa globalité, prenant en compte l’impact de cet objet sur la santé de la société et de l’environnement. Pour Arper, le développement durable se situe ainsi à chaque étape de la conception produit – du sourcing des matériaux jusqu’aux pratiques de production en passant par l’utilisation de la couleur – ce n’est pas une question secondaire, mais bien une préoccupation majeure au cœur même du processus de création et de design de l’entreprise.

 

« En tant qu’entreprise, nous avons une responsabilité sociale par rapport au développement durable à laquelle nous ne pouvons déroger » explique Claudio Feltrin, Directeur Général de Arper. « En 2005, nous avons monté une équipe spéciale au sein de l’entreprise chargée de se concentrer spécifiquement sur la question du développement durable. En tant que fabriquant, nous nous sommes focalisés sur les aspects qui avaient le plus grand impact sur l’écosystème, prenant en compte la manière dont nous sélectionnons les matériaux, nos processus de production ou encore la façon dont nous envisageons la fin du cycle de vie de nos produits. Petit à petit, ces outils sont devenus des lignes directrices qui se sont totalement intégrées à nos processus de travail – véritable reflet de notre manière d’envisager le développement durable comme un procédé au long cours exigeant un effort et une attention constants. »

La vision circulaire de Arper sur la production et le cycle de vie d’un nouveau produit commence d’abord par la question de l’origine des matériaux. La vision du designer peut-elle être complétée par l’utilisation d’un matériau à faible teneur en pesticide comme le chanvre ou les algues plutôt que par celle d’un coton dont la production a exigé l’utilisation de beaucoup d’eau et de produits chimiques ? Est-il envisageable d’utiliser des plastiques recyclés pour fabriquer cette nouvelle pièce ? Ce sont des questionnements et préoccupations qui s’appliquent également aux réflexions concernant la couleur.

 

La plupart des procédés de coloration qui viennent altèrer la couleur naturelle d’un matériau ont un effet néfaste sur l’environnement. Les traitements de coloration des textiles comme le blanchiment ou la teinture sont à l’origine de 20% de toutes les pollutions d’eau douces. La teinture à base de plantes naturelles offre une alternative plus sûre aux colorants chimiques polluants mais ils n’offrent cependant pas de longévité suffisante pour répondre à la demande industrielle.

 

De quelle manière une réflexion sur le design peut-elle contribuer aux challenges liés à la couleur et au développement durable ? Quels rôles les designers peuvent-ils jouer pour changer notre perception de ce qui est beau ? Le Directeur Général de Arper Claudio Feltrin pense qu’adopter une stratégie de fond autour du design peut aider à proposer des solutions «Le design permet d’explorer diverses façons d’innover et de redéfinir les valeurs esthétiques pour s’assurer que ce qui est bon pour l’environnement et les êtres humain est vu comme « beau » et « désirable».

© Salva Lopez© Salva Lopez
© Salva Lopez

Outre le fait de proposer des finitions de tissus personnalisables et produits de façon durable dans une myriade de couleurs, Arper a commencé à s’intéresser à la couleur sous un nouvel angle. Avec la collection Kata, Altherr Désile Park a exploré de nouvelles stratégies de pérennité écologique.

© Salva Lopez© Salva Lopez
© Salva Lopez

En créant un coussin fabriqué par tissage 3D à partir de polyester de post-consommation, les déchets textiles ont pu être réduits en globalité de 30 à 50%. La nécessité d’inclure des procédés de teintures chimiques a pu également être réduite en ajoutant à la maille 3D des textures et des motifs, créant deux motifs différents qui donnent vie au revêtement en surface grâce à un jeu d’ombres et de lumières crée par le relief de formes graphiques.

© Salva Lopez© Salva Lopez
© Salva Lopez

« Nous avons cherché à explorer toutes les stratégies possibles en dehors de celles consistant à mixer des couleurs pour animer un espace » explique la designer Jeannette Altherr de Altherr Désile Park. « Pour la nouvelle collection Kata, nous avons ainsi développé quatre couleurs basiques naturelles : charbon et lin – qui ne nécessitent pas de teinture additionnelle – et blé et eau. Nous avons eu le sentiment qu’il n’y avait pas besoin de couleurs plus expressives étant donné la possibilité que nous avions de pouvoir jouer avec des revêtements intéressants. La couleur est utilisée en petites doses, sous la forme d’un coussin. »

© Salva Lopez© Salva Lopez
© Salva Lopez

Une autre solution design que nous devons considérer tient à la manière dont nous apprécions l’impact et la patine du temps sur la couleur afin de parvenir à élargir notre vocabulaire relatif aux procédés de couleur. « La patine d’un vieux jean a un charme, un petit quelque chose en plus qu’un jean neuf ne possède pas » explique Altherr. « Les collectionneurs sont particulièrement attirés par la patine ancienne des objets ou meubles de deuxième main. La cicatrice d’une céramique brisée restaurée par la technique du Kintsugi ou encore le projet de restauration mis en place par David Chipperfield au Neue Museum de Berlin peuvent rendre les éléments encore plus beaux, plus singuliers. La question qu’il faut se poser est la suivante : dans un monde à l’aune d’une crise climatique, comment pouvons-nous changer nos valeurs esthétiques pour soutenir nos efforts de durabilité écologique ? »

Une utilisation responsable des couleurs ne veut pas forcement dire limiter notre palette de tonalités, mais plutôt d’ouvrir nos esprits à un plus large éventail de couleurs et de possibilités qui peuvent se présenter à travers diverses solutions de design. A ce moment-là serons-nous alors capables de comprendre toute l’étendue du futur de la couleur.

BIG + Icon Build + NASA, Project Olympus, 2020. Project for the first permanent settlement on the surface of the moon. Courtesy of ICON + BIG – Bjarke Ingels Group.BIG + Icon Build + NASA, Project Olympus, 2020. Project for the first permanent settlement on the surface of the moon. Courtesy of ICON + BIG – Bjarke Ingels Group.
BIG + Icon Build + NASA, Project Olympus, 2020. Project for the first permanent settlement on the surface of the moon. Courtesy of ICON + BIG – Bjarke Ingels Group.